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Chroniques
Cassandre, monodrame de Michael Jarrell
Fanny Ardant – Ensemble Intercontemporain
Écrivaine et essayiste ayant publié dans l’ex-République Démocratique Allemande, Christa Wolf (née en 1929) porte au moins par deux fois son regard sur des femmes de l’Antiquité : Kassandra en 1983 – soit avant la chute du Mur de Berlin, contrairement à ce que nous dit la note de programme… – et Medea en 1996. Si la compositrice Michèle Reverdy transpose cette seconde du roman à la scène de l’opéra en 2003 (dans la mise en scène lyonnaise signée Raoul Ruiz), la première se fait entendre près de dix ans plus tôt, également en France, et préfigure les rencontres futures de Michael Jarrell avec la littérature d’outre-Rhin – Brecht (La vie de Galilée, 2006) et Müller (Le père, 2010).
Adapté pour la radio par Gerhard Wolf, le mari de Christa, puis traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Cassandre voit le jour au Théâtre du Châtelet le 4 février 1994, avec Marthe Keller et un Ensemble Intercontemporain alors placé sous la direction de David Robertson. Parmi les enthousiastes de cette première, citons le pianiste Claude Helffer qui, comme il l’avait fait pour le Prometeo de Nono, demanda une place pour réentendre l’œuvre dès le lendemain, lui qui plaçait le Suisse « dans le courant des gens qui écrivent une musique qui se tient, une musique construite, une musique où l’on sait où l’on va, une musique pensée ».
Dès l’accord initial, celle-ci invite un climat pesant à ce « monodrame de la solitude » pour dix-huit instrumentistes et électronique, accompagnés de la voix nue d’une comédienne. Prophétesse « en dehors de l’opéra », Cassandre est à la veille de descendre dans la mort. Elle doit témoigner sans perdre de temps, dans un tempo si rapide au début qu’elle en devient incompréhensible. Susanna Mälkki sert au mieux l’urgence d’une partition qui réserve des pianissimi aux intimes évocations fraternelles ou amoureuses, une tension crue de timbales à la découverte du Cheval de bois, voire des silences pour laisser s’épanouir certains dialogues rapportés avec le roi et père Priam.
Sortie de son rôle de mère étouffante dans un clip estival de Mika, Fanny Ardant incarne cette fois une femme qui souffre autant qu’elle dérange. Chacun a en l’oreille ce timbre et cet impact vocal portés par un souffle, reconnaissables entre tous, mais la comédienne échappe au cliché glamour pour muer en tragédienne qui se débarrasse de ses chaussures avant cette bataille jetant à terre la cité et son peuple. Car ici, sa voix n’alterne pas avec d’autres voix de cinéma, mais se déploie une heure durant, solitaire et sans défense, convoquant la caresse comme un plomb magnifique qu’on ne lui connaissait pas ; bref, elle semble se faire entendre pour la première fois.
LB